Tuesday, 18 August 2009

The English Aphrodites, Part 2

In my last post, I traced the story of the English Aphrodites, to a French work printed in 1906, “Jean Hervez” [aka Raoul Vèze], Les sociétés d'amour au xviiie siècle.

Although this text was on Google Books, it was not available to me in Australia due to the idiotic restrictions that Google imposes out of fear of copyright infringement. Googles' thinking seems to be this. "Since we can't be sure anywhere outside of America exists, or, if it exists, what the laws are that govern copyright we will abide by American law in America, but act as if copyright lasts forever everywhere else." Or, if not forever, then 200 years (which is 80 years plus the life of the author—which may extend to 120 years). In practice, of course, they actually block material that is more than 200 years old: I have often encountered eighteenth-century texts that were scanned from original editions that are unavailable in Australia. Idiots.

Anyway, I eventually discovered a way around this. It is possible, on the web, to pretend to be American. Rather than adopting a Valley Girl or Texan accent, all you do is search for "Free Proxy Server"; once you find one (like this one) you open up another browser window, do the search that is blocked, copy the URL into the Free Proxy Server and it will make Google think that your query is coming from the US and provide access to the text.

I discovered this neat trick, did my search again, and was able to get access to the full text of Les sociétés d'amour au xviiie siècle. Having done so, I have downloaded and edited the text (below) of Chapter 7 (pp. 206–37). The most important bit is in the third paragraph of this chapter. Raoul Vèze writes:

Comme garantie de leur existence réelle, nous ne possédons qu'un ouvrage d'Andréa de Nerciat, trop licencieusement écrit pour pouvoir être livré au public. (207)

[As a guarantee of their real existence [i.e., the Aphrodites], we possess only a work of Andréa of Nerciat, too licencentious to be delivered to the public.]


Vèze goes on to cite and to summarise André Robert de Nerciat's novel, Les Aphrodites ou Fragments thali-priapiques pour teroir à l'histoire du plaisir (1793). Vèze sketches the main characters, the villa and grounds, the arrangement of the club, and describes in turn each of the characters who appear in this pornographic novel. Mme Durnt, for example is described thus:

A la tête de ce personnel se trouve Mme Durnt, surintendante des menus, la cheville ouvrière du bonheur des Aphrodites, la femme à la fois la meilleure, la plus utile et la plus aimable. Agée de 36 ans, elle est brune, blanche, dodue, irrégulièrement jolie, très bien conservée, et fort piquante encore. Bonne, vive, étonnamment active, intrigante, elle est dominée par un indomptable tempérament. (217)

[The head of personnel is Mrs. Durnt, superintendent of menus, the mainstay of the happiness of the Aphrodites, the best woman and, at the same time, the most useful and pleasant. She is 36 years old, it is a brunette, pale-skinned, plump, irregularly pretty, very well preserved, and extremely piquante still. Cheerful, lively, surprisingly active, a busy-body, she is dominated by an untameable temperament.]


Vèze concludes his overview with a description of the chronicler the Aphrodites:

Le chroniqueur de l'association, consciencieusement explicite, nous a transmis l'album d'une Aphrodite, dont le surnom est trop brutal pour pouvoir être transcrit. L'album enregistre le chiffre de quatre mille neuf cent cinquante-neuf, en vingt ans, à peine par conséquent deux cent soixante à deux cent quatre-vingts par an, pas un par jour. “Le total impose d'abord, au détail ce n'est rien.”
  II comprend deux cent soixante-douze princes, grands seigneurs, gens à cordon, prélats; neuf cent vingt-neuf militaires (officiers, bien entendu); quatre-vingt-treize rabbins (pour ce qu'ils valent au boudoir!); trois cent quarante-deux financiers (pour les sacs); deux cent trente-neuf de la calotte; quatre cent trente-quatre moines, la plupart cordeliers, carmes ou bernadins, quelques ex-jésuites; quatre cent vingt gens de société; cent dix-sept inconnus; seize cent quatorze étrangers (pendant quatre ans de séjour à Londres); deux cent quatre-vingt-huit gens du commun, soldats, ouvriers, gens raccrochés la nuit au Palais-Royal ou sur les boulevards; deux oncles, douze cousins, etc., en tout vingt-cinq parents; cent dix-sept valets; cent dix-neuf musiciens, histrions, sauteurs; quarante-sept nègres, mulâtres et quarterons. Certains des inscrits ont leurs noms marqués de guillemets et de virgules … (234–35)

[The chronicler of the association, conscientiously explicit, transmitted to us; an album of Aphrodite, whose nickname is too crude to be transcribed. The album records the figure of four thousand and nine hundred and fifty-nine liaisons, in twenty years, that is two hundred and sixty to two hundred and eighty per annum, not even one per day. “The total imposes at first, with the details this is nothing.”
  This includes two hundred sixty-[plus one] dozen princes, Grand Lords, men of the cloth, prelates; nine hundred twenty-nine soldiers (officers, of course); four-score and thirteen rabbis (for what they are worth in the boudoir!); three hundred forty-two financiers (for the money); two hundred thirty-nine of the tonsure; four hundred thirty-four monks, the majority cordeliers, Carmelite friars or bernadins, some ex-Jesuits; four hundred and twenty people of company; one hundred seventeen unknown; sixteen hundred and fourteen foreigners (during four years stay in London); two hundred and eighty eight commoners, soldiers, workmen, people hung up at night in the Palais Royal or on the boulevards; two uncles, twelve cousins, etc, in all twenty-five parents; one hundred and seventeen servants; one hundred and nineteen musicians, historians, acrobats; forty seven negros, mulattos and quarters. Some of the registered names have their names marked in quotation marks and commas …]


From all of this it should be abundantly clear now that the documentary evidence for this English club turns out to be—contrary to the claim of Nina Epton—the imagination of a French pornographer. With this in mind it is rather amusing to return to some of the places that this fantasy has recently been represented as reality. Google throws up a typical reference in Jill Tweedie, In the Name of Love: A Study of Sexual Desire (2000), 47:

The Aphrodites of the eighteenth century, for instance, were the lady members of an exclusive and scandalous club … One indefatigable Aphrodite confided in her journal that during twenty years she had had 4,959 amorous rendezvous that included … A swinger indeed and an intrepid one, willing to outface every hazard that confronts a woman when she makes love or lust. Madame, I salute you.

As we have seen, Ms Tweedie's salutation should be to André Robert de Nerciat; and one should be wary of confusing fantasy with reality.

My next post will contain the text of Nerciat's novel.

* * * * *

Jean Hervez (pseud. of Raoul Vèze), Les sociétés d'amour au xviiie siècle (1906), Ch. 7 (pp. 206–37).

Chapitre VII: Les Sociétés on l’on fait l'amour.—Les Aphrodités on Morosophes.—Le temple et ses initiés.—“Andrins” et “Jendis”.—Les grandes Aprodisiaques.—L'Album d'une Aphrodite.

Les Félicitaires avaient quelque scrupule—à moins que ce ne fût un raffinement de volupté—à étaler leurs intimités qu'ils dissimulaient même sous un jargon spécial; les Aphrodites ne veulent pas admettre la gène d'un préjugé, si minime soiti. Ils sont de l'école de la marquise de Palmarèze, l'héroïne de la Petite-Maison, et estiment superflu de prodiguer des paroles là où il faut de l’action, et une action vive. “Hercule, en de pareilles occasions, ne disserte pas; il va au fait, il agit. Dans une seule nuit, il métamorphose cinquante pucelles en autant de femmes. Voilà le modèle qu'il faut toujours se proposer quand il est question d'érotisme.”
  Aussi faudrait-il la langue et la plume de Pétrone pour retracer l'histoire de cette confrérie érotique. Mais si la franchise est en libertinage une atténuation, une excuse, les Aphrodites peuvent sans hésiter en réclamer le bénéfice.
  Comme garantie de leur existence réelle, nous ne possédons qu'un ouvrage d'Andréa de Nerciat, trop licencieusement écrit pour pouvoir être livré au public. Cependant une lettre adressée à M. de Sehonen par le marquis de Châtcaugiron, accompagnant l'envoi de l’Alcibiade fanciullo (manuscrit et lettre possédés en dernier lieu par le duc d'Otrante) donne un détail précis à ce sujet. Voici ce qu'elle dit: “J'y joins les Aphrodites dont je vous ai parlé; cet ouvrage du chevalier de Nerciat est presque inconnu à Paris, ayant été imprimé à l'étranger pendant la Révolution. Il est assez remarquable, comme historique, car il peint, dit-on, au naturel une société qui s'était formée aux environs de Paris, du côté de la vallée de Montmorency, et dont un certain marquis de Persan était président. Cette association, à laquelle chacun des initiés concourait dans une proportion convenue, n'avait d'autre but que le libertinage.”[1]
  Dans son Préambule nécessaire, l'auteur des Aphrodites présente ainsi la Société: “L'ordre de la fraternité des Aphrodites, aussi nommés Morosophes (de deux mots grecs signifiant folie, sagesse, pour indique sans doute que leur sagesse est d'être fous à leur manière) se forma dès la régence du fameux Philippe d'Orléans, tout ensemble homme d'Etat et homme de plaisir; au surplus bien différent de son arrière-petit-fils, qui s'est aussi fait une réputation dans l'une et l'autre carrières. Soit qu'un inviolable secret eût constamment garanti les anciens Aphrodites de l'animadversion de l'autorité publique (si sévère, comme on sait, contre le libertinage porté à certains excès), soit que dans le nombre de ces fidèles associés il y en eût plusieurs d'assez puissants pour rendre vaine la rigueur des lois qui auraient pu les disperser et les punir, jamais, avant la Révolution, leur société n'avait souffert d'échec de quelque conséquence; mais ce récent événement a frappé plus des trois quarts des frères et des sœurs, les plus solides colonnes de l'Ordre ont été brisées; le local même, qui était dans Paris, a été abandonné.
  Des débris de l'ancienne institution s'est formée celle dont ces feuilles donneront une idée. On y verra se développer progressivement le lubrique système et les capricieuses habitudes des Aphrodiles, gens fort réprehensibles peut-être, mais qui du moins ne sont pas dangereux, et qui, fort contents de leur constitution, ne songent nullement à constituer l'univers.”[2]
  Cependant, au dire d'une initiée seconde manière, l'Ordre au début avait fait une espèce de culte religieux de ce qui ne devait être qu'un badinage et une folie. Les gros bonnets d'alors étaient des espèces d'adeptes, qui faisaient semblant d'avoir trouvé la pierre philosophale du plaisir et de vouloir en demeurer seuls dépositaires. Il se tenait de belles et longues assemblées, où l'on s'emmystiquait; et puis il y avait des harangues de réception, des remerciements, des hymnes à prétention, où les prétendus inspirés s'étaient battu les flancs pour être, comme au Parnasse, bien exaltés, bien sublimes, bien ridicules. Aussi lorsqu'il s'agissait de s'amuser tout de bon, on convoquait un essaim de fous et de folles, devant qui certainement on n'aurait osé ni haranguer, ni pontifier.[3]
  L'institution, telle qu'elle s'est reformée, n'y met pas tant de façons. Et d'abord, de par les statuts même de l'association, un Aphrodite professe ne doit jamais avoir l'ombre d'un scrupule. Dans ce qui est uniquement affaire de plaisir, il ne mettra que de la folie. Le parfait désintéressement et l'union des cœurs étant les bases d'une bonne fraternité, un Aphrodite ne doit jamais souhaiter quelque préférence exclusive, ni se croire offensé des inévitables infidélités d'un confrère ou d'une consœur. Grâce à ces principes, complétés par cette formule concise, mais précise: “Peu, mais de l'excellent,”—les Aphrodiles ou Morosophes opèrent entre eux des prodiges de jouissance et de volupté. Ils boivent à longs traits dans la coupe du bonheur. Quelques agitations que puissent endurer ailleurs les membres fortunés de cette confrérie, du moins à leur temple ne sont-ils jamais suivis de leurs peines.
  L'accès de ces temples était au reste sévèrement clos; l'admission y était difficile et coûteuse. Chaque membre, lors de sa réception, faisait à l'Ordre un don proportionné à sa fortune; il déposait en outre dix mille livres pour lui-même et cinq mille livres pour la dame; car les dames ne paient rien. L'Ordre tenait compte des intérêts de ces fonds à cinq pour cent; mais il héritait de ces capitaux, à moins qu'il ne rejetât quelqu'un de ses sociétaires, auquel cas il le remboursait de ses dix mille livres. Le contingent féminin n'était jamais rendu.
  Un statut de la dernière rigueur poursuivait les mauvais payeurs, leur laissant des délais très courts. Mais quand il était question, pour ces messieurs, de demeurer Aphrodites, de n'être pas rayés avec ignominie de la plus heureuse liste, ils négligeaient plutôt toutes leurs autres dettes.
  L'association possédait aux environs de Paris, du côté de Montmorency, un vaste territoire entièrement clos, très accidenté, coupé de jardins, de forêts, de bosquets, et sur lequel était élevé le bâtiment principal, appelé l'Hospice. C'était une retraite fort bien distribuée et dont les différentes pièces rappelaient par leur décor, autant que possible, le plein air. La salle à manger, dans laquelle on servait les diners les plus sensuels, représentait un bosquet dont le feuillage peint de main de maître se recourbait en coupole jusque vers une ouverture ménagée en haut et d'où venait le jour, à travers une toile légèrement azurée qui complétait l'illusion. Sur le fond transparent on voyait les extrémités des feuilles, et quelques jets élancés se découpaient avec une vérité frappante. Tout autour de la pièce, aux troncs des arbres régulièrement espacés, on avait attaché une draperie blanche, bordée de crépines d'or, destinée à cacher tous les intervalles au-dessous du feuillage. Le bas était une balustrade du meilleur style, peinte en marbre, et qui paraissait se détacher. Le tapis était un gazon factice parfaitement imité.
  La salle des séances est une grande rotonde, une espèce de temple sans aucune décoration apparente au dehors. Un corridor de neuf pieds de large, flanqué de deux petites nefs proportionnées, conduit, par une double file de douze colonnes, du péristyle fort simple à l'entrée principale. La coupole hardie qui couronne cet important édifice est tellement ordonnée qu'elle représente le dôme d'un berceau d'arbres fort élevés, dont les branches jetées avec art se bornent irrégulièrement à quelque distance du centre pour former une ouverture vague et fermée de vitrages. Grâce à l'art de l'architecte et du peintre, on jouit dans cette salle d'une éblouissante lumière et d'un air très vif.
  Contre le socle, à l'intérieur, sont appuyés des rangs de gradins concentriques en amphithéâtre, fixes, mais coupés en quatre endroits pour faciliter la circulation.
  Au milieu de la salle se trouve une plate-forme de soixante pieds de diamètre qui sert, aux jours des assemblées nombreuses, à des danses et cérémonies rituelles.
  Une salle est réservée aux grandes pompes du culte aphrodisiaque. Elle est formée d'une enceinte circulaire d'ifs, mêlés de jasmins d'Espagne, et percée de huit hautes arcades entre chacune desquelles s'élève sur un piédestal une jolie statue de génie enfant, alternativement de l'un et de l'autre sexe. Un baldaquin en verre de montre, tendu de taffetas du rose le plus tendre, à pentes retroussées de gaze d'argent, recouvre cette riante enceinte. D'amples rideaux roses partent de la calotte et viennent se perdre en fuyant derrière la haie circulaire qui forme les parois intérieures du salon d'ifs. Une lumière plongeante est criblée à travers le taffetas. Un cercle de loges, desservies par un corridor, entoure la salle: de chacune d'elles on découvre le spectacle à la faveur de mille petites ouvertures irrégulières ménagées à travers les cartons qui tiennent lieu de grilles.
  Au milieu de l'enceinte, à la hauteur de dix-huit pouces, se dresse une plate-forme de dix pieds de diamètre, des bords de laquelle s'incline jusqu'au trottoir un talus rampant de verdure; au centre de la plate-forme, un petit autel autiquej rond d'excellent style.
  Ce local pouvait être combiné de bien des manières, selon les inspirations du jour.
  Les jours d'orgies, on y installe un certain nombre de meubles inventés par Monsieur du Bossage, architecte des bâtiments et des machines de l'Hospice, et dits avantageuses. C'est une espèce d'affût destiné à recevoir un groupe de deux partenaires. La dame, s'y présentant comme à tout autre siège, doit se laisser aller en arrière, après avoir saisi de droite et de gauche deux tores bien garnis représentant deux vigoureux priapes (en style d'Aphrodites, deux boute-joie). Un coussin assez épais et plus ferme que mollet, revêtu de satin, la supporte depuis le haut de la tête jusqu'auprès du sillon des f...; le reste vague eu l'air jusqu'aux pieds qui s'engagent à peu de distance dans deux espèces d'étriers fixes, mais mollement rembourrés. Ainsi les jambes et les cuisses sont déterminées à se ployer en forme d'équerre. Les pieds du cavalier sont appuyés sur un troussequin; ses genoux reposent sur une traverse douillette. S'inclinant dans cette posture, il se trouve parfaitement à portée du but de son exercice; ses mains trouvent deux appuis cylindriques à la boiserie du meuble, en dehors. Ces dispositions obvient à tous les inconvénients des enlacements des bras, qui échauffent et gênent la respiration, ainsi que l'embarras des jambes et des cuisses qui rendent plus lent et moins facile le procédé frictif.
  L'Hospice comprend en outré douze boudoirs progressivement galants ou riches, et tous d'un goût original, garnis de glaces, dans lesquelles sont ménagées des portes dérobées à l'usage des voyeurs. Ils sont meublés à profusion de f..... Ce n'est ni un sopha, ni un canapé, ni une ottomane, ni une duchesse, mais un lit très bas, qui n'est pas non plus un lit de repos (il s'en faut de beaucoup). Long de six pieds, il est sanglé de cordes de boyaux, comme une raquette de paume et n'a qu'un matelas parfaitement moyen entre la mollesse et la dureté, un traversin pour soutenir la tête d'une personne, et un dur bourrelet pour appuyer les pieds de l'autre. On a trouvé bon de donner ce nom à cette espèce de duchesse, d'abord parce que duchesse et f... sont synonymes, ensuite parce qu'on nomme dormeuse une voiture où on peut dormir, causeuse une chaise où l'on cause, etc.[4]
  A l'extrémité la plus reculée du territoire de l'Hospice, on rencontre une colline fortuite au haut de laquelle on arrive d'un côté par une montée peu rapide; l'autre offre des escarpements naturels qu'on a rendus plus pittoresques. On a bâti sur la cime un Hermitage, c'est-à-dire un bâtiment qui a toute l'apparence d'une petite chapelle fort ancienne, avec son péristyle soutenu de deux colonnes de bois, sa porte et ses fenêtres gothiques et ses vitrages diaprés. Il est surmonté d'un petit clocher; une cabane est adossée à ce sanctuaire. Tout le terrain de cette retraite est en bosquets coupés de petits sentiers et d'un ruisseau qui occasionne une cascade artificielle. De ce point l'œil découvre au loin un fort beau paysage; mais l'Hermitage, à cause de ses bosquets feuillus, est vu de peu d'endroits de l'intérieur de l'Hospice. Cette retraite est palissadée et close. Les jeudis en font grand cas (nous ferons bientôt connaissance avec eux): c'est leur champ de bataille pour les petits coups fourrés.[5]
  La chapelle est décorée de tableaux de sainteté, mais d'une sainteté tellement hétérodoxe que leur description risquerait d'embarrasser notre plume. La légende des filles de Loth y occupe une place d'honneur, mais interprétée d'une manière peu familiale. La tentation de saint Antoine y est exécutée en bas-relief: Belzébuth et sa femme sont venus surprendre le saint pendant son sommeil et lui ont attaché la barbe après la queue de son fidèle compagnon. Puis ils éveillent les deux amis. Le saint se prosterne en prières, tandis que Belzébuth abuse de son attitude et que Madame Belzébuth, lui faisant face, enjambe le cochon.
  Enfin la surintendante de l'Hospice a pour son compte, au delà des jardins, un pavillon où elle tient quelques pensionnaires. Les arrangements se font à Paris. On est transporté de nuit dans une voiture sans glaces et scrupuleusement fermée, où l'air est renouvelé par un ventilateur. A l'arrivée on se trouve dans un lieu fort agréable, mais d'où on ne découvre ni Paris, ni le moindre village. Le pensionnaire jouit là de tout ce qu'on peut souhaiter au monde, excepté la liberté. Il paie par jour à proportion de ce qu'il a exigé lors de sa convention, quatre louis par jour en moyenne. Dès qu'il veut retourner, on le renvoie avec les mêmes précautions; on use même de narcotiques dans le cas d'une retraite involontaire.[6]
  Pour administrer le Temple et assurer tous les besoins du culte, les Aphrodites ont fait choix d'un personnel éclairé, expérimenté, prêt aussi à toutes les complaisances. A la tête de ce personnel se trouve Mme Durnt, surintendante des menus, la cheville ouvrière du bonheur des Aphrodites, la femme à la fois la meilleure, la plus utile et la plus aimable. Agée de 36 ans, elle est brune, blanche, dodue, irrégulièrement jolie, très bien conservée, et fort piquante encore. Bonne, vive, étonnamment active, intrigante, elle est dominée par un indomptable tempérament. Ces messieurs ne la voyant qu'à la volée, ne songent guère à lui proposer la moindre chose; mais quand le loup a faim, il sort du bois: elle se propose elle-même, toujours à la grande satisfaction du favori.
  Elle a comme principale auxiliaire Célestine, à peine âgée de vingt ans, une grande et belle blonde au plus frais embonpoint, richement pourvue de toutes les rondeurs et potelures que peuvent désirer tous les genres d'amateurs. Elle a de grands yeux bleus qui semblent demander à tous l'amoureux merci. Sa bouche est riante, ses lèvres légèrement humides ont le mouvement habituel du baiser. Cette fille est parmi les femmes ce qu'est parmi les fruits une belle poire de doyenné, tendre et fondante. Célestine, désirée de tout le monde, aime tout le monde; elle ne put jamais répondre non à quelque proposition qu'on ait eu le caprice de lui faire. Elle a de plus la gloire d'avoir remporté au concours la place de première essayeuse.
  Elle est puissamment aidée par Fringante, une brune magique de 19 ans, qui a figuré quelque temps à l'Opéra, mais s'est dégoûtée de ce tripot, parce qu'elle est sans intrigue et dominée par un vorace tempérament, qui lui gâtait toutes ses affaires d'intérêt. Elle ne prise dans l'homme que sa virilité, et est inaccessible aux petites répugnances. Elle a dans les yeux un charme qui produit des miracles sur certains individus jusquelà condamnés à ne plus se sentir renaître. Elle est animée d'un zèle infatigable pour la prospérité de l'établissement.
  Au-dessous et sous les ordres de ces gracieuses et dévouées intendantes, manœuvre une petite armée dont toutes les recrues doivent être aussi discrètes qu'agréables à voir. Il faut d'ailleurs que tous les genres y soient représentés; caries Aphrodites ne veulent rien ignorer de la science pour laquelle ils se sont constitués en confrérie. Ainsi Mme Durut a-t-elle incorporé Zoé, une négrillonne de quatorze à quinze ans, “le plus piquant museau qu'aient jamais fourni les moules camus de la Côte-d'Or: noir d'ébène, œil philosophique, dents admirables, de la sensibilité, des désirs et de l'espièglerie”. Elle est chargée de purifier, de laver et d'essuyer les combattants avec des linges de coton des Indes.
  Sous le nom méprisant de Pot-de-Chambre, une fille est attachée à l'établissement où elle a sollicité de servir sans gages. L'universalité de ses infatigables services, qu'elle rend par goût, et dont elle se plaint toujours qu'on ne fait pas assez d'usage, lui a valu son sobriquet.
  Des adolescents habillés en jockeys, toujours de fort jolie figure, font le service des bosquets et de la table: on les aime timides, des ébauches d'hommes, presque insexués encore. Tous les jeunes domestiques, ceux désignés couramment dans le monde sous le nom de pages et de demoiselles, sont appelés, les garçons Camillons et les filles Camillonnes; cette dénomination n'est pas de pure fantaisie, elle s'inspire des rites antiques: “Camilli et Camillæ, ita dicebantur ministri et ministrae impuberes in sacris.”[7]
  Le principe de l'établissement est que quiconque fait le service domestique est tenu à d'autres complaisances encore. Le mot d'étiquette que Mme Durut dit à un serviteur, pour qu'il se prête à toutes les fantaisies qu'on pourra lui prescrire, est: Conduisez monsieur (ou madame) au no—et servez.
  Enfin les Aphrodites sont assurés d'un accès discret à leur retraite voluptueuse par le choix que Mme Durut a fait de deux portiers, dont chacun est privé d'un sens fort nécessaire: le premier ne voit point; le second, fixé dans l'intérieur, ne parle ni n'entend. Il prévient de l'arrivée des visiteurs à l'aide d'un sifflet puissant. Il est aussi, grâce à sa surdité, l'inexorable exécuteur de toutes les fessées que Mme Durut se croit en droit de faire appliquer à sa marmaille domestique.
  L'Association devait comprendre non loin de deux cents adeptes; car à une séance présidée par les douze dignitaires de l'Ordre, et dont le procèsverbal fut rédigé par Visard, l'historiographe officiel des Aphrodites, il est dit que la grande maîtresse fut nommée à la majorité de 137 voix contre 26. Ces affiliés appartiennent tous aux classes privilégiées de la société: femmes de cour, abbés, princes, prélats, paradent, avec l'impudeur de demi-dieux, en des tableaux et des dialogues spirituellement, mais plus que lestement troussés. Ils se sont affublés, pour plus de pittoresque et de prudence aussi sans doute, de surnoms très expressifs qu'ils portent comme des enseignes. Il nous suffira de présenter quelques-uns de ces fidèles, dont le zèle et l'activité sont vraiment surprenants.
  Mme de Cognefort, âgée de vingt et un ans, a la beauté du diable: ni brune, ni blonde, ni jolie, ni laide. Une luxure d'enfer. Connue chez les Aphrodites sous le surnom de Mme Encore.
  La comtesse de Troubouillant, vingt-trois ans, brune colorée, nez en l'air, œil brûlant, sourcil impérieux, bouche un peu grande, mais étonnamment fraîche; agréablement spirituelle; formes rondes, dodues et fermes; forêt de cheveux noirs et crépus.
  La marquise de Bardamoi, superbe, vit depuis peu de temps dans ce tourbillon, où elle a été amenée par le chagrin du veuvage. Elle se console comme elle peut dans le sein des Aphrodites, le seul asile qu'il y ait peut-être encore en France pour le bonheur.
  La duchesse de Confriand, dix-neuf ans, jolie poupée blonde, avec tout l'aimant, toute la vivacité d'une brune. En six mois elle a tué de volupté son époux le duc. A sa mort elle a épousé l'Ordre des Aphrodites, et telle qu'Alexandre, elle y fait voir que, dans un petit corps, la nature s'amuse parfois à renfermer un grand courage.
  La vicomtesse de Pillengius, vingt-sept ans, brune, la marche et le maintien d'un cavalier doué de grâces, un goût marqué pour les plus violents exercices du corps. Chez les Aphrodites elle porte le sobriquet de l'Escarpolette, à cause des grands balancements qu'elle fait éprouver à ceux qui ont l'honneur de la servir.
  Milady Beaudéduit, vingt-quatre ans, régulièrement belle, très jolie; peau d'une fraîcheur délectable, maintien, grâce, tons et caprices d'une dame de cour.
  Baronne de Wakiifuth, superbe Allemande, sans pétillante vivacité; modèle de Rubens. Ferme les yeux dans les instants décisifs. Cet accident peut lui arriver quinze à vingt fois par jour.
  La duchesse de l'Enginière, très grande, proportions fortes sans épaisseur et sans mollesse. Traits et caractère de Junon. Grands airs, principes hardis, conduite impudente. Belle peau, belles dents, tempérament ardent et capricieux. Infiniment agréable pour ses favoris et les femmes qui veulent bien figurer sur la liste de ses amants. Peu goûtée des hommes, qu'elle traite moins bien. A peu près vingt-trois ans; en avoue dix-neuf.
  Zaïre de Fortconin, dix-sept ans, brune assassine; tout le coloris et toute la fermeté de la plus fraîche adolescence.
  Parmi les représentants du sexe laid, le marquis de Bellemontre, vingt-sept ans, un des plus aimables débauchés de Paris, tournure d'Apollon. Quelques dames Aphrodites ont eu la cruauté de lui reprocher que son beau nom n'était pas dignement soutenu; mais dans un monde ordinaire cette idée ne serait venue à l'esprit de personne.
  Le chevalier de Boutavant, vingt-quatre ans, grand flandrin bien tourné, sans souci, s'est fait une spécialité d'écraser des gimblettes ou croquignoles, sur un simple désir féminin.
  Le marquis de Fontencour, trente ans, de l'impudence et une belle figure—neuf pouces deux lignes.
  Le baron de Malejeu, vingt-trois ans, le premier homme peut-être qui ait imaginé d'avoir un album amicarum, rempli de certificats féminins. Cent quatorze noms révérés attestent que le baron ne parle que par huit, neuf ou dix. Aussi a-t-il été reçu Aphrodite sans noviciat et par acclamation.
  Le vicomte de Durengin, vingt-deux ans, d'abord destiné à l'état ecclésiastique. A vingt ans, il était encore vierge; fut façonné par une blanchisseuse de rabats. Aphrodite depuis trois mois: les registres font foi qu'il a fait, à lui seul, la besogne de quatre frères. Constamment en arrêt; neuf pouces cinq lignes.
  Chevalier de Tireneuf, garde du roi, l'Hercule Farnèse à vingt-quatre ans. Peu de fortune, mais les femmes et le jeu le soutiennent. Grand causeur, ses discours sont pour l'ordinaire divisés en neuf, dix ou plus de points, mais n'ennuient jamais ces dames. C'est l'effet de la magie de l'organe oratoire, du style et du geste, à la beauté desquels prête beaucoup l'ampleur. Dix pouces.
  Le chevalier de Pinfier, dix-neuf ans, grâces, esprit, charme de la plus adorable petite maitresse de Paris, délicieux libertinage. Blond, mais vif et ardent. Sa mère tient chez les Aphrodites un rang distingué. C'est lui-même un homme à bonnes fortunes, beau, joli, fait au tour. Sept pouces neuf lignes.
  Le prince Edmond, vingt-neuf ans, brave, galant, affable et généreux; persuadé qu'un seul ami console de vingt ingrats, il sert, il oblige avec un zèle infatigable. Heureux avec beaucoup de femmes, jamais aucune n'eut à se plaindre de lui.
  Le commandeur de Concraignant, trente-sept ans, charmant petit-maître à ruban vert. Les plus délicieuses fortunes de la Cour l'ayant successivement accommodé pis que ne l'auraient fait celles des coulisses, il sert l'occidental avec autant de constance que de zèle.
  Le vicomte de Culigny, quarante-deux ans, grand, svelte, bien fait, mais que la petite vérole a enlaidi. Un joujou d'œuvre assez médiocre. Sa maladie lui ayant fait perdre la vogue, il abjura, mais avec tolérance et comme certains renégats, plus près d'adorer la croix que de la fouler aux pieds.
  Un prélat au ton béat, facile amalgame d'indomptable luxure et d'indispensable hypocrisie—à peine sept pouces.
  L'abbé de Dardamour, vingt-sept ans, ancien militaire; très luxurieux, mais l'esprit de son état lui fait sentir la nécessité de jouer l'hypocrisie.
  Le commandeur de Lardemotte, de Malte, cidevant chevalier de Francheville, vingt-sept ans, parfaitement beau, bien fait, libertin; un des plus effrayants boute-joie de l'Ordre.
  L'abbé Suçonnet, spécialiste de la glottinade, sa manœuvre favorite, qu'il a lui-même dénommée à la grecque.
  Tous ces adeptes ont le rang d'intimes; mais les Aphrodites admettent aussi des auxiliaires. Il y a entre ces derniers et les premiers à peu près la même différence que chez les Francs-Maçons entre les maîtres et les servants. Le grade d'auxiliaire donne les entrées, mais limitées, ne s'étendant guère au delà de certaines circonstances, de quelques solennités. Assez souvent l'auxiliaire n'est pas seulement assistant libre, mais commandé, parce qu'il doit consigner dans les registres de l'Ordre chaque fait avec tous ses détails d'une parfaite vérité.
  L'auteur nous présente deux dames assistantes ou auxiliaires: Mme de Montchaud, vingt-quatre ans, grosse et succulente dondon, un peu molle, aux yeux étincelants de luxure; et Mme de Valcreux, vingt-trois ans, brune plus ferme, peau fine, mais vaste, profonde, à faire pitié..... [8]
  Toute femme qui passe quarante ans est nommée vieille; mais ces dames ont droit d'assistance jusqu'à ce qu'elles ne marquent plus. Alors, à moins d'un relief, elles perdent leurs entrées, excepté le jeudi pour le service de ces messieurs les Villettes (adeptes de l'amour à rebours), et le samedi pour des raisons un peu obscures.[9]
  Entre eux les Aphrodites mâles se classent d'après leurs goûts et leurs aspirations personnelles. Les Aphrodites purs aiment l'amour sous toutes ses formes. On nomme jeudis ces messieurs qui sont au moins partagés entre l’œillet et la boutonnière: ils ont pour jour de solennité le jeudi en l'honneur de Jupiter, le Villette de l'olympe. Les femmes qui avaient la complaisance de se prêter au goût de ces messieurs étaient connues sous le nom de Jannettes (de Janus), à cause de leur double manière de faire des heureux. Les amateurs de ces sortes de femmes se nommaient en conséquence des Janicoles. Pour eux il n'y a point de sexe, il n'y a que des formes. “Que m'importe, dit l'un d'eux, qu'au revers de cet enfant charmant il y ait une prolongation et qu'à celui de cette fille il y ait une lacune?[10] J'oublie tout cela quand je suis avec l'un, avec l'autre également étreint dans un élastique anneau, également appuyé sur deux magnétiques hémisphères, d'un satin un peu plus, un peu moins blanc, mais qui procurent à la vue des sensations également voluptueuses. Pourtant dès que le rasoir a fauché sur le visage d'un être masculin certaine fleur enfantine, seul prétexte à l'équivoque, il est rare que sans dépravation on puisse désirer d'avoir un tel personnage. Fi! du grossier pédéraste qui ne recherche pas la féminine illusion!”
  Les andrins, en petit nombre, sont ceux qui, ne faisant cas d'aucun charme féminin, ne fêtent que des Ganymèdes. Cette catégorie d'Aphrodites renégats, ayant sans doute pris une trop grande extension, il fut décidé en assemblée générale, sur un rapport de M. de Culigny, que vingt-huit frères stériles seraient remboursés et biffés, que le local affecté à messieurs les jeudis serait fermé jusqu'à nouvel ordre, et que le service, fixé par les statuts au jour du grand Jupiter, n'aurait lieu désormais que si les femmes daignaient y concourir. Le décret ordonnait en même temps la radiation:
1e De quiconque n'aura pas requis une femme comme telle pendant trois mois;
2e De quiconque sera convaincu d'avoir pris ses ébats avec un être masculin âgé de plus de dix-huit ans.[11]
  Les candidats Aphrodites, s'ils sont du sexe mâle, ne sont tenus, en dehors des obligations financières, qu'à fournir des preuves irréfutables de leur vigueur et de leurs aptitudes techniques. Les femmes doivent être mariées; quant aux célibataires, elles ont vingt et un ans au moins et sont autorisées par un proche parent, membre de la société, tout au moins par un dignitaire qui soit de la famille.
  Les candidats sont affiliés un à un à la suite d'examens pour lesquels les essayeuses ne manpas; mais ils ne sont jamais engagés que deux à deux. Chaque individu d'un couple de profès était respectivement pendant un an parrain et marraine. Des soins approchant de ceux du sigisbéisme d'Italie étaient attachés à cette particulière affmité. Il était de règle, au moment de l'initiation, que pendant trois heures, entre parrain et marraine, on fît ce qu'on pouvait. Le nombre des couronnes rendait compte de ce qui s'était passé. On avait une assez mince opinion du nouveau profès qui n'était pas sept fois couronné. Qui n'avait pu atteindre la cinquième couronne était rernis. Après un second essai malheureux, le frère était exclu de la profession, et restait simple affilié. Il n'y avait aucun moyen de frauder: un incorruptible dignitaire à portée ne délivrait chaque couronne qu'après s'être bien assuré qu'on venait de la gagner légitimement.
  Aussitôt après le temps d'épreuve, le parrain faisait son entrée dans le temple, affublé d'une espèce de tiare presque ridicule par sa hauteur: les profès marchaient par ordre de valeur, le plus couronné en tète, et à côté de lui sa marraine. Pendant ce temps le nouveau grand-maître et la grande-maîtresse avaient lié connaissance de même façon; leurs prouesses devaient être éminentes. Le grand-maître devait conserver pourtant de sa vigueur. Il était salué en effet par les nouvelles professes (cinq ou six en général), qu'il embrassait d'abord sur les yeux et la bouche, tandis que chaque profès baisait les boutons du sein de la grande-maîtresse et, ployant les genoux, rendait plus bas le même hommage. Le grand-maître fêtait ensuite toutes les professes, et la grande-maîtresse recevait dans un boudoir l'hommage d'étiquette de tous les profès.
  Le grand-maître avait deux assistantes; la grande-maîtresse deux assistants. Ces quatre dignitaires, choisis pour leurs talents et leurs grâces, étaient les seconds personnages de l'Ordre.
  La cérémonie d'initiation se terminait par un somptueux banquet.
  Lors de l'entrée en exercice des nouveaux promus, une assemblée solennelle était tenue. Elle était fixée au premier vendredi de mai.—Le vendredi était particulièrement le jour des grandes cérémonies, en l'honneur de Vénus.—Ce jour-là seulement les dignitaires de l'année courante cessaient leurs fonctions et rentraient dans la foule. Cependant ils conservaient encore, avec quelques attributions flatteuses, le cygne d'émail entouré d'une couronne imitant le myrte mêlé de roses, décoration qui se portait avec un ruban vert liseré de ponceau pour les retirés en petit ordre; pour les dignitaires effectifs, au col; pour les grands-maîtres et grandes-maîtresses, en grand cordon. Ces derniers exclusivement étaient ornés au cou: la grande-maîtresse, du signe de la planète de Vénus brodé en argent sur un fond de satin ou paillon vert clair; le grand-maître, du signe de la planète de Mars brodé sur un fond de satin ou paillon ponceau. Autour de ces deux plaques, d'ailleurs égales, brillait une riche auréole à huit pointes de rayons de diamants, de rubis et d'émeraudes placée sur le cœur. Le bijou d'ordre de la grande-maîtresse et celui du grand-maître étaient aussi les seuls enrichis.
  L'initiation terminée, tout récipiendaire audessous de trente ans est obligé de couler à fond la première classe des Aphrodites, c'est-à-dire celle des vieilles, quel que fût leur nombre. A certaines époques il n'y avait pas moins de dix-neuf quadragénaires. Le nouveau reçu leur doit tous les devoirs à discrétion, mais pendant un seul jour pour chacune. Avec les autres il est quitte pour un seul hommage au choix de la dame. Une condition plus dure est de passer parmi les Villettes les quatre jeudis du premier mois de son existence dans l'Ordre; mais le récipiendaire s'en trouve dispensé si quelque dame, de son propre mouvement, daigne l'occuper ce jour-là. S'il est convaincu d'avoir éludé par quelque manœuvre l'invitation d'une dame plus ou moins agréable pour se faire inviter ailleurs, non seulement il n'est pas rachetable par les femmes, mais il tombe aux parties casuelles, c'est-à-dire que tous les jeudis de la première année, il est dévolu aux andrins.[12]
  Les grandes cérémonies sont célébrées dans la salle circulaire que nous avons précédemment décrite, et avec une solennité quasi-rituelle. Au son d'une musique d'instruments à vent exécutant la marche des Mariages samnites de Gaétry, le cortège pénètre dans le temple. En tête Zoé, suivie des musiciens (huit nègres), agite un gros tambour de basque, marque le pas et la mesure. Une draperie de taffetas ponceau est pittoresquement jetée autour de ses hanches. Derrière la musique, un jeune jockey porte au bras un panier rempli de feuilles de vigne, qui ne sont destinées à aucune pudique dissimulation. Derrière lui, sept couples de jeunes garçons et filles ajustés d'écharpes: le premier couple est blanc, le second bleu de ciel, le troisième vert-pré, le quatrième ponceau, le cinquième rose, le sixième violet, le septième orange. Le plus âgé des garçons n'a que seize ans, le plus jeune quatorze. La plus âgée des filles touche à treize ans, la plus jeune à onze. A trois pas en arrière, les servants du culte: les dames ont par-dessus un simple jupon de taffetas blanc, une casaque de fantaisie imitant la forme grecque, les manches tranchées à la hauteur des seins dont elles laissent voir la séparation et plus de la moitié de chacun des hémisphères. Elles ont une écharpe et un ruban dans les cheveux. Les cavaliers, chaussés de pantoufles de maroquin fort découvertes, portent des pantalons blancs et des gilets rayés d'étoffe pareille aux casaques des dames; ils ont le col nu, les cheveux sans poudre et relevés. Chaque cavalier marche à gauche de sa dame, le bras passé derrière ses reins; celle-ci a la main gauche sur l'épaule droite du cavalier.
  A leur suite viennent Célestine et Fringante, et Mme Durut ferme la marche.
  Le cortège fait un tour entier dans l'enceinte circulaire, puis les musiciens se retirent dans le passage, tandis que chaque couple gagne une avantageuse. Mme Durut, Célestine et Fringante montent vers l'autel par trois marches. Pendant tout le temps que les avantageuses sont occupées, la musique ne cesse de jouer des airs de plus en plus voluptueux.
  A ces grandes solennités un prix est décerné à l'auteur du plus grand nombre de prouesses dûment prouvées. Le prix consiste en une montre à répétition enrichie de diamants, pour laquelle chaque Aphrodite masculin donne un louis. A la plus prochaine assemblée, il est fait mention détaillée du concours.[13]
  Il arrive parfois que des Aphrodites ont le caprice de faire représenter sous leurs yeux une saturnale, qui est aussitôt exécutée par les servantes de l'Hospice avec de robustes valets qui servent les membres du sexe féminin à certains jours. Le Pot-de-Chambre est ici la maîtresse de ballet et s'y distingue par un savant pas de deux avec le chef de cuisine. Mais ce sont là grossiers ébats, peu dignes d'Aphrodites raffinés.[14]
  Le chroniqueur de l'association, consciencieusement explicite, nous a transmis l'album d'une Aphrodite, dont le surnom est trop brutal pour pouvoir être transcrit. L'album enregistre le chiffre de quatre mille neuf cent cinquante-neuf, en vingt ans, à peine par conséquent deux cent soixante à deux cent quatre-vingts par an, pas un par jour. “Le total impose d'abord, au détail ce n'est rien.”
  II comprend deux cent soixante-douze princes, grands seigneurs, gens à cordon, prélats; neuf cent vingt-neuf militaires (officiers, bien entendu); quatre-vingt-treize rabbins (pour ce qu'ils valent au boudoir!); trois cent quarante-deux financiers (pour les sacs); deux cent trente-neuf de la calotte; quatre cent trente-quatre moines, la plupart cordeliers, carmes ou bernadins, quelques ex-jésuites; quatre cent vingt gens de société; cent dix-sept inconnus; seize cent quatorze étrangers (pendant quatre ans de séjour à Londres); deux cent quatre-vingt-huit gens du commun, soldats, ouvriers, gens raccrochés la nuit au Palais-Royal ou sur les boulevards; deux oncles, douze cousins, etc., en tout vingt-cinq parents; cent dix-sept valets; cent dix-neuf musiciens, histrions, sauteurs; quarante-sept nègres, mulâtres et quarterons. Certains des inscrits ont leurs noms marqués de guillemets et de virgules. Ceux qui n'en ont pas sont favorisés à l'ordinaire; les autres, cela s'entend.[15]
  L'Association ne devait pas survivre aux troubles de la Révolution, ainsi que nous l'apprend Andréa de Nerciat, dans la Post-face de son ouvrage.
  “Dès la fin de 1791, y est-il dit, les Aphroditeas de Paris et de la province se préparaient à se dissoudre; quantité d'individus des deux sexes s'étaient d'avance expatriés. Le prince Edmond et la nouvelle grande-maîtresse Eulalie s'étaient passionnément occupés de préparer à ceux des Aphrodites qui étaient dignes de survivre à la fraternité de Paris un asile en pays étranger et les moyens de placer avec avantage ce que l'Ordre conserverait encore de richesses, après que tous les confrères, soit volontairement dégagés, soit congédiés, seraient remboursés. Les comptes scrupuleusement apurés par des frères financiers d'une probité à toute épreuve, l'Ordre survivant se trouva riche encore de 4.558.923 livres, que des frères banquiers trouvèrent moyen de faire sortir adroitement du Royaume. L'industrieux monsieur du Bossage s'était chargé de plus loin de dénaturer, en fait de constructions, tout ce qui caractériserait l'Ordre et ses divers objets, de même que de faire parvenir à sa nouvelle destination tous les détails transportables de décoration et d'ornement. Mme Durut, Célestine, Fringante et quelques camillons des deux sexes suivirent à la file les fréquents envois. Quand tout l'Ordre fut écoulé corps et biens, sa feue Révérence (le Grand-Maître) sortit la dernière; elle porte aujourd'hui le nom de Martinfort, et continue à prouver qu'on peut être de très nouvelle noblesse, avoir porté par système un uniforme odieux, avoir même précédemment été moine, sans être, comme certains dédaigneux le pensent, un homme vil, parce qu'on n'aurait pas été fait pour monter dans les carrosses du Roi.
  Les Aphrodites rénovés ont maintenant, dans un pays que nous ne pouvons nommer, un asile délicieux, des statuts épurés et des sujets d'élite.”


NOTES

[1] C** d'I****. Bibliographie des ouvrages relatifs à l'amour. Paris, 1894, t. I, col. 242.
[2] Les Aphrodites ou Fragments thali-priapiques pour teroir à l'histoire du plaisir. Lampsaque, 1793, t. I, p. 1sqq.
[3] Les Aphrodites ou Fragments thali-priapiques pour teroir à l'histoire du plaisir, t. III, p. 46.
[4] Les Aphrodites, t. I, p. 127.
[5] Les Aphrodites, t. III, p. 67.
[6] Les Aphrodites, t. II, p 19.
[7] Les Aphrodites, t. III, p. 131.
[8] Les Aphrodites, passim.
[9] Les Aphrodites, t. II, p. 153.
[10] Ces jeudis sont à nous ce que les Indiens sont aux Européens: ceux-ci fout le diable noir parce qu'ils sont blancs, ceux-là le font blanc parce qu'ils sont noirs. Ainsi l'apostat Villette appelle revers ce qui est pour nous l'endroit, et réciproquement. (Note de l'auteur).
[11] Les Aphrodites, t. I, p. 84; t. III, p. 80.
[12] Les Aphrodites, t. IV, p. 131 sqq.
[13] Les Aphrodites, t. II, p. 162.
[14] Les Aphrodites, t. III, p. 159.
[15] Les Aphrodites, t. III, p. 52.

1 comment:

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